Les enjeux du capital humain
L’humain représente sans nul doute la ressource immatérielle la plus importante de l’entreprise. Sans lui, sans ses idées, sans ses connaissances, sans ses savoir-faire, sa créativité, aucune activité n’est possible ! Comme toute richesse immatérielle, les compétences, pour créer de la valeur ont besoin d’être incarnées et donc activées par l’homme et ce dans un contexte. Nous désignons d’ailleurs les détenteurs de savoirs ou de compétences singulières par le terme « porteurs d’actifs ».
C’est pourquoi lorsque certaines compétences, rares ou fondamentales dans l’activité de l’entreprise, se trouvent concentrées entre les mains d’une seule personne ou de quelques-uns, leur départ peut avoir des conséquences graves pour l’entreprise, voire remettre en cause tout un pan de son activité. Ceci est particulièrement vrai en cas de cession, reprise ou fusion, contexte favorable à la cristallisation et à l’émergence de peurs les plus folles face au changement.
Il convient donc de se prémunir de la perte d’une compétence clé en mettant en place des plans de transfert des compétences, en soignant sa ligne managériale et la circulation de l’information bottom up, en favorisant la coopération et les bonnes pratiques transversales …
Ce qui est démontré ici pour les compétences l’est tout autant pour TOUS les enjeux sociaux car ils impactent TOUS directement l’humain et sa capacité à faire, bien faire ou ne pas faire.
De la qualité de gestion des impacts humains au sein de l’entreprise va dépendre la durabilité du modèle d’affaires et par conséquent les résultats financiers sur le temps long.
L’infographie ci-dessous démontre en quoi la performance immatérielle est prédictive de la performance économique.
"Rien n'est vrai tout est vivant" *
Créer de la valeur sans valeurs n’est plus envisageable dans l’environnement V.U.C.A du 21è siècle.
C’est pourquoi il est important de considérer toute action RSE comme une démarche transformative profonde de l’entreprise et pas uniquement cosmétique. Cela suppose également de repenser intégralement le bien fondé de certaines activités et de s’interroger sur leurs réelles contributions au bien commun.
Je cite pour exemple une PME spécialisée dans la PLV que je connais bien. Ses donneurs d’ordre sont les géants de la grande distribution. Cette PME de 20 salariés travaille depuis longtemps à proposer des solutions innovantes et écologiques à ses clients en plus des produits « classiques »: encre végétale, carton recyclable, oriflamme recyclé ET ignifugé, packaging réutilisable x fois par le consommateurs, sourcing de matières en Europe…
Cette entreprise est confrontée à plusieurs défis :
- la perte de compétences internes : les métiers manuels ayant été dévalorisés durant des décennies, les expertises métiers se sont perdues. Il est devenu difficile de recruter des candidats compétents et opérationnels rapidement.
- la perte de compétences externes : le design et le graphisme ayant fait de nombreux émules ces 15 dernières années, même de grandes entreprises n’hésitent plus à faire des infidélités à leur agence de communication au profit de professionnels moins chers pour leur confier la réalisation de leur design. Le fait est que ce choix n’est pas toujours judicieux. Si la tâche a été confiée à quelqu’un de mal formé au prépresse, que ce soit au sein d’une agence ou par un indépendant, le visuel produit ne sera pas qualitatif ni conforme.
- la perte de temps et d’efficacité : notre PME de PLV se retrouve ainsi à faire des BAT sur la base de design qui laissent à désirer. Allers-retours nombreux, mauvaise communication, tensions engendrent des coûts cachés importants pour notre entreprise qui se doit malgré tout de fabriquer des produits de qualité si elle veut satisfaire son client.
- la perte de compétitvité : il est de plus en plus fréquent qu’un client, retourne la marchandise sous prétexte d’une erreur de date ou de désignation malgré que celle-ci soit conforme au BAT signé. Il apparaît de plus en plus que les BAT sont validés sans véritable contrôle de la part du donneur d’ordre qui n’hésite pas à retourner la marchandise et à bloquer le paiement, obligeant la PME à relancer une production, à ses frais.
- la double perte de sens : ces mêmes clients, forts de leurs indicateurs ESG et RSE bien présentés dans un rapport de durabilité n’hésitent pas à commander les produits de PLV les moins cher, délaissant les produits écologiques ou recyclés, et ce, malgré un cahier des charges vert pomme et une charte éthique rédigée. Par conséquent, les deux juniors que notre PME a récemment recruté, particulièrement sensibilisés aux enjeux environnementaux lui ont annoncé vouloir se réorienter, désabusés de constater que même si son entreprise veut produire durable, les achats clients se font vraisemblablement encore selon les règles de l’ancien monde : le prix avant tout.
Pour pousser le raisonnement plus loin encore, on peut se demander si le fait même de commander et fabriquer des PLV rentre dans le cadre de la durabilité. Sera t’il juste, à terme, d’ arbitrer sur la durabilité d’un modèle ou bien la durabilité d’une activité ? Sur quels critères et par qui ?
Il est donc souhaitable de définir dans « un langage vrai » et clair, quel type de valeur et de richesse nous voulons créer pour notre société civile et commerciale dans les décennies à venir. Les dissonances cognitives et les interprétations, à défaut de compréhension, risquent sans cela d’être de plus en plus fortes.
Fédérer les équipes autour de valeurs d’entreprise, aussi incarnées soit-elles ne peut avoir de sens que si le projet, la vision et le chemin qui y mènent sont énoncés intelligiblement et au sein d’un commun cohérent.
Aussi, si nous voulons des entreprises vertueuses à quoi sommes-nous collectivement prêts à renoncer ?
L'innovation managériale
« La norme représente la somme des exigences imposées à des existences » selon Roland Gori.
C’est pourquoi il est utopique voire présomptueux d’imaginer régler l’ensemble de nos enjeux sociétaux et environnementaux à coup de réglementations, de notations ou de labels. Car la norme, issue d’un cadre, d’une règle ou d’un algorithme ne peut restituer la diversité, la complexité, l’incertitude du vivant.
Or, comme démontré dans le paragraphe précédent nos activités et nos vies humaines sont emplies de dimensions incertaines, volatiles, complexes, changeantes. Cette compréhension du subtil ne peut se faire qu’avec une approche systémique de l’organisation.
Face à ces nouveaux enjeux, le rôle des managers d’aujourd’hui pourrait ainsi s’approcher de celui de facilitateur dont la charge est de dénouer la complexité et de développer la simplexité.
Le terme simplexité est l’art de rendre simples, lisibles, compréhensibles les choses complexes. C’est une notion émergente et un domaine d’étude en systémique, ingénierie et neurosciences.
De même que complexe ne doit pas être confondu avec compliqué, simplexe ne doit pas être confondu avec simple. Une « chose simplexe » est une « chose complexe dont on a déconstruit la complexité que l’on sait expliquer de manière simple. Et c’est un exercice particulièrement ardu.
Selon Alain Berthoz, la simplexité, est « l’ensemble des solutions trouvées par les organismes vivants pour que, malgré la complexité des processus naturels, le cerveau puisse préparer l’acte et en projeter les conséquences. » Ces solutions, sont des principes simplificateurs qui permettent de traiter des informations ou des situations, en tenant compte de l’expérience passée et en anticipant l’avenir. C’est ce que nous faisons lorsque nous sommes « un expert métier » dans un domaine et que nous mettons en oeuvre nos compétences aussi bien « en situation normale » qu’en « situations inattendues », résolvant ainsi des problèmes, parfois au prix de quelques détours, pour arriver à des actions plus rapides, plus élégantes, plus efficaces.
Or faire simple n’est jamais facile ; cela demande d’inhiber, de sélectionner, de lier, d’imaginer pour pouvoir ensuite agir au mieux.
Manager l’incertitude en entreprise requiert par conséquent une lecture objective et simplexe d’éléments contextuels et constitutifs à un instant T. Parmi ces éléments nous pouvons citer la compréhension du corps social, la culture d’entreprise, le sens commun, la vision du dirigeant, le projet de l’entreprise, la circulation de l’information… C’est au coeur de ces dimensions vivantes que se trouve le carburant dynamique de la performance intégrale, matérielle et IMmatérielle.
Intégrer des indicateurs immatériels aux tableaux de bords de l’entreprise pour appréhender la complexité humaine et contextuelle dans une posture de facilitateur relève de l’innovation managériale.
Car piloter l’entreprise en tenant compte des facteurs immatériels aide à identifier et traiter les signaux faibles avant qu’ils ne se transforment en risques critiques. C’est une autre lecture de la valeur de l’entreprise sur le temps long. Une analyse qui permet de prendre des décisions stratégiques et opérationnelles éclairées, en y intégrant réellement le vivant, à travers les enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux à relever.
Et ainsi valoriser collectivement notre contribution à construire un monde plus Ver–tu–eux .
*Rien n’est vrai tout est vivant : Voyage au pays du tout-monde d’Edouard Glissant