Qu'est ce que la richesse ?
« Ariane, ça ne me parle pas du tout ce que tu fais » m’a écrit hier un ancien collaborateur. La semaine dernière c’est un DRH qui lors d’une conférence m’a dit : « L’immatériel est conceptuel. C’est comme le beau. Cela s’explique, cela s’approche mais cela ne se nomme pas ; sinon ce n’est plus du beau » .
Le capital immatériel est devenu pour moi une compétence inconsciente, car c’est mon univers de travail depuis des années. Cependant, alors que j’ai construit il y a peu mon premier parcours de formation – dont l’objectif pédagogique consiste à évaluer le capital immatériel d’une organisation – je réalise qu’il est nécessaire de clarifier ce sujet afin de pouvoir mieux le partager.
A mon ancien collaborateur j’ai écrit : « Pour faire court, les actifs immatériels sont toutes les richesses, les ressources non monétaires qui permettent à toute organisation de se développer, de créer de la valeur. Il existe 3 familles d’actifs : le capital humain (les collaborateurs, les dirigeants), le capital relationnel (les liens avec les clients, les fournisseurs, le faire savoir)…etc ; le capital structurel (la marque, les brevets, le type d’organisation, l’actionnariat…). » A priori Guillaume (c’est le nom de l’ancien collaborateur) a compris cette explication mais je vais néanmoins repréciser mon propos dans le détail.
Les actifs immatériels d’une entreprise n’apparaissent pas (ou peu) dans le bilan comptable. Ces actifs sont pourtant à l’origine de la grande majorité de la valeur créée.
Les chiffrages réalisés montrent que l’immatériel constitue l’essentiel de la valeur de l’entreprise. Pour exemples les résultats de ces trois études :
- l’économie Française est constituée à 86% d’immatériel (source : Banque mondiale)
- le poids financier des entreprises du CAC40 est constitué de 55% à 72% de valeurs extra comptables (source: Rapport Thésaurus 2019)
- ces « goodwills »* représentent 2/3 de la valeur des PME/PMI (source: Rapport Fustec et Marois 2006)
Aujourd’hui, la création de richesse est basée sur la capacité de l’entreprise à partager le savoir, à développer les aspects humain, structurels et relationnels et aussi à créer des modes de fonctionnement plus réactifs et efficients.
C’est donc à partir de ces actifs immatériels que l’on peut donner du sens à ses actions au niveau collectif comme individuel. Connaître ses actifs immatériels apporte un nouvel éclairage sur les questions stratégiques, managériales et organisationnelles.
Concrètement, cela se définit comment… ?
La richesse intégrale
Nous pouvons également utiliser le terme de « richesse intégrale » et d’ « architecture invisible » pour qualifier l’immatériel. C’est une approche que j’aime beaucoup car finalement, qu’est-ce que la richesse ? Y a-t-il une autre forme de richesse que celle de l’argent ?
La réponse est OUI, évidemment.
« La richesse intégrale inclut toutes les formes de richesse : mobile, mesurable, ordonnable et énonçable.»
- Richesse mobile : le prix, la quantité, la façon dont les richesses circulent, l’économie « traditionnelle »
- Richesse mesurable : la qualité, la satisfaction, le temps, la façon dont nous mesurons ces richesses
- Richesse ordonnable : le label de la meilleure tarte aux fraises du monde, le meilleur vendeur de couettes, la manière dont nous ordonnons les richesses en fonction de critères définis les uns par rapport aux autres
- Richesse énonçable : la beauté, la confiance, l’engagement, l’amour même… la façon dont nous verbalisons subjectivement l’expérience de la richesse
Comment pourrions-nous mieux rendre visibles au sein de l’entreprise ces différentes richesses ? Comment faire pour les voir dans leur ensemble au sein de notre organisation ; comment détecter, nommer et cartographier ce fameux Capital Immatériel ?
Le beau, le bon, le vrai
Envisager l’immatériel c’est avoir une vision de la richesse qui va au delà du rudimentaire bilan comptable, qui est uniquement une richesse mesurable. Cela induit donc le fait d’expanser sa conscience et son regard sur ce qui nous entoure, sur ce qui nous relie les uns aux autres.
En développant sa conscience, on développe sa capacité à faire. Faire du lien, faire de l’expérience, faire du sens, faire « du beau du bon du vrai » (cf. Les Valeurs primaires).
Les organisations qui atteignent les meilleurs résultats sur le long terme sont celles qui parviennent à trouver le juste équilibre entre trois dimensions.
1- La dimension du » I « (JE) : L’individuel, dont la réussite se mesure à l’implication de chacun, à l’efficacité des compétences mises en œuvre, et à la satisfaction dans son désir de croissance personnelle.Cette dimension s’apparente au BEAU.
2- La dimension du » WE » (NOUS, L’AUTRE) : Le collectif, dont la réussite se mesure par la confiance et par des relations individuelles et collectives saines et solidaires. Cette dimension s’apparente au BON.
3- La dimension du » IT « (CELA) : La performance objective, l’organisation, la technique, dont la réussite est mesurée par le résultat économique. Cette dimension s’apparente au VRAI.
En considérant les 3 familles d’actifs immatériels évoquées succinctement dans l‘épisode 1 (Capital humain, relationnel et structurel), nous pouvons alors les organiser selon les 3 dimensions et les 3 valeurs primaires énoncées juste avant .
- 1- LE BEAU – « le Je créateur »- Le Capital Humain,« Tout ce qui est dans la tête des collaborateurs » (expérience, motivation, relations interpersonnelles, capacité de direction, de vision partagée, valeurs, mythe fondateur, culture, savoir-faire etc.)
- 2- LE BON – « le Nous, l’alter-ego « – Le Capital Relationnel, «Tout ce qui relie l’entreprise à son environnement» (la marque, les relations avec les clients, les fournisseurs, les partenaires, la marque employeur, l’écosystème territorial etc.)
- 3- LE VRAI – « le ça, le principe de réalité »- Le Capital Structurel, «Tout ce qui reste dans l’entreprise à la fin de la journée» (l’organisation, la communication interne, la gouvernance, l’actionnariat, les processus, les outils & méthodes, la propriété intellectuelle, etc.)
Piloter l'immatériel
Ces 3 dimensions, 3 familles d’actifs et 3 valeurs primaires, représentent la structure fondamentale, nécessaire à toute création de valeur et de richesse (au sens large)…
Sachant que chaque type de richesse ou d’actif immatériel peut être rattaché à une méthode d’évaluation (mesurable et/ou ordonnable et/ou énonçable), nous avons développé un outil d’évaluation extra-financier et financier du Capital Immatériel destiné aux entreprises mais également aux territoires de montagne.
Cet outil donne lieu à un tableau de bord de pilotage de l’immatériel en lien avec le projet de l’entreprise et les richesses que l’on souhaite voir, créer et faire circuler au sein de nos organisations : faire baisser le turn-over, renforcer l’engagement, les connexions territoriales, augmenter la marge, améliorer la QVT, la RSE l’attractivité de la marque employeur…etc
Nos cartographies et grilles de lecture constituent une matrice où toutes les pièces et tous les rouages, sont inter-connectés. Cet « outil de navigation » s’enrichira dans le temps en toute autonomie, en fonction des mouvements que l’organisation traversera.
Pour que le TOUT soit plus clair en TOUT…
La valorisation financière quant à elle, sera utilisée lors d’une levée de fonds, d’une demande de crédit bancaire, de discussions avec des élus territoriaux ou bien à l’occasion d’une négociation lors d’une cession-reprise.
Prospectives
Pour conclure, au-delà du développement des savoir-faire et des savoir-être, notre époque suppose de faire évoluer nos propres schémas de représentation.
Alors que notre humanité n’a jamais tant été en quête de sens, de singularité ; que la mission de vie individuelle se traduit dans la raison d’être des organisations, que les liens se tissent de plus en plus en fonction de nos schémas de conception du monde et de nos valeurs fondamentales ; l’immatériel apparaît comme une réponse pleine de bon sens au service de l’intérêt commun. Il représente en quelque sorte l’énergie vitale qui permet à l’entreprise de s’adapter en continu et de s’améliorer individuellement comme collectivement. Car la frontière entre le développement personnel et celui des entreprises n’existe plus vraiment de nos jours, ce qui est une excellente nouvelle !
Ce n’est qu’en s’appuyant sur les richesses intégrales, sur le capital immatériel que l’on fait écho aux individus et que l’on embarque le collectif dans un objectif commun de mieux, de mieux-être, de mieux-faire, de mieux-vivre.
Car finalement, que signifie créer de la valeur en fin de compte ? Que comptons nous chaque jour au cœur de nos entreprises ; et qu’est ce qui compte réellement au cœur de nos vies ?
Allons nous encore longtemps « sacrifier l’essentiel à l’immédiat » ?