De l'intuition à la révélation
Face à l’urgence écologique et sociétale les faisceaux convergent tous vers l’immatériel pour imaginer la société et l’économie de demain. Et cela ne date pas d’hier…
Les premiers travaux théorisant le capital humain datent des années 60.
Dans les années 90, la GRI ébauche les lignes directrices de reporting des performances sociales, environnementales et économiques pour les entreprises.
Les IFRS deviennent le référentiel applicable aux sociétés cotées sur un marché européen en 2005 suivi du label B.Corp en 2006 et de l’iso 26000 en 2010. Les 17 ODD deviennent un nouveau cadre de référence en 2015 en parallèle des Accords de Paris. La loi Pacte est adoptée en mai 2019 entraînant dans la foulée l’initiative des Entreprises à missions et plus récemment la CSRD.
L’Observatoire de l’Immatériel existe quant à lui depuis 2007.
Cela fait donc plus de 60 ans que de nombreux acteurs tentent de faire émerger l’idée que le profit et la croissance financière infinie ne sont pas un but en soi et tout autant que les scientifiques alertent sur le changement climatique.
La révolution industrielle était un vrai progrès pour l’humanité mais la machine s’est emballée en particulier sur ce dernier siècle questionnant peu à peu notre rapport au vivant et au travail.
Matérialiser ses immatériels en 2023
Enquête Gallup sur l’engagement des collaborateurs, Indice du bien-être au travail (Ibet) de Mozart Consulting, Think tank pour des futurs souhaitables ou la fabrique du bonheur, chaman en entreprise, spécialistes du capital humain, du sens, des valeurs, des critères ESG, de la réglementation CSRD, de l’économie symbiotique…. : nombreux sont les dispositifs et outils qui mettent en lumière l’importance des richesses et indicateurs non matériels au service de la prospérité.
D’un côté les normes et les chiffres, de l’autre, le vivant et l’accomplissement humain.
La comptabilité triple capitaux tente de réunir ces deux pôles en particulier avec la notion de prise en compte du capital naturel. Vaste chantier que d’imaginer comptabiliser une destruction de biodiversité et en parallèle mesurer sa compensation.
Jusqu’à présent les initiatives ne sont pas véritablement probantes lorsqu’il s’agit de limiter nos impacts négatifs en terme de pollution, de destruction de la biodiversité etc…. Même en recouvrant entièrement les 9 millions de km2 du Sahara avec plus de 1000 arbres à l’hectare, on parviendrait à peine à compenser les 30 milliards de tonnes de CO2 que nous émettons en trop chaque année.
Essayer de compter ce qui compte vraiment semble pourtant une bonne idée dans l’absolu puisque les démarches « non obligatoires » comme la RSE ne sont malheureusement pas suffisamment démocratisées malgré de nombreux acteurs engagés sur le sujet. Toutefois, c’est peut-être dans la manière d’interpréter les données que nous devrions progresser.
Par exemple, si l’on considère la moyenne générale d’un lycéen qui a eu 18/20 en maths et 6/20 en français cela nous donne 12/20 de moyenne générale. Cette note ne veut rien dire. Ce qui est intéressant se trouve plutôt dans les raison du 18/20, là où réside vraisemblablement ses forces. Il est probable que la trajectoire de cet élève sera davantage alignée avec sa personnalité et ses compétences s’il embrasse une carrière d’ingénieur que de romancier.
Concentrer nos efforts là où résident nos forces est un fonctionnement optimal bien plus vertueux que de s’acharner à vouloir corriger nos faiblesses. Cela est valable dans nos vies privées comme en entreprise.
Une méta-analyse Gallup a révélé que les entreprises qui mettent l’accent sur la potentialisation des forces des individus enregistre un taux de performance de « 36% supérieur aux autres entreprises ; au contraire, les entreprises qui mettent l’accent sur le développement des faiblesses des individus enregistre un taux de performance de 27% inférieur aux autres entreprises.
En se focalisant sur ce qui nous anime à travers nos forces singulières on déclenche 3 leviers vertueux :
- l’authenticité
- l’énergie
- la performance
Interessant autant pour soi que pour l’entreprise n’est ce pas ?
Alors quand il s’agit d’initier une transformation de modèle pour répondre aux nouveaux enjeux sociétaux, sociaux et environnementaux il y a deux voies possibles :
- Mettre en lumière ce que l’on fait mal pour le corriger
- Valoriser ce que l’on fait bien pour le faire fructifier
Ces deux chemins doivent être explorés et travaillés de concert. Mais pour que cela fasse sens, que le collectif soit embarqué et que la démarche s’inscrive dans le temps long, il est fondamental de préserver un focus tout au long de la transition sur la nature des forces qui sont propres à l’entreprise et aux individus qui la composent.
Hors il n’existe pas de méthode unique pour évaluer les forces issues de la personnalité d’un individu ou de la durabilité d’un modèle d’affaires. Tout organisme vivant est évolutif.
Nous tirons nos forces d’une performance immatérielle, invisible, manifestée à travers des actes ou des décisions dont le résultat va se mesurer en performance intégrale : tangible et expérientielle.
C’est donc sans doute dans l’alignement entre forces singulières et dimension expérientielle qu’existent les leviers d’engagement sur lesquels nous appuyer pour transformer notre destin et celui de notre monde.
« Comment catalyser ces informations pour les renseigner dans un tableur Excel ? » demanderont les financiers. « Impossible » répondront les Sages ou les philosophes.
Pourtant il est possible de catalyser au maximum ces données à travers une identification et une analyse du capital immatériel en entreprise à condition que cette démarche soit menée par et pour les parties prenantes. Si la mission, la vision et les valeurs sont claires, les équipes seront fédérées autour de la politique d’entreprise et le miracle de la transformation pourra se concrétiser dans la sérénité et la pérennité.
La destruction silencieuse
Désastre environnementale, fracture sociale, individus en détresse sont les indicateurs de notre époque que la crise Covid a amplifié.
Selon Boris Cyrulnik, dans une population en paix, 12% des adolescents sont en détresse. « Les évaluations récentes évoquent pratiquement 40 % des adolescents. Il raconte aussi que lorsqu’il travaillait à la commission des 1000 premiers jours, il a eu la chance de rencontrer Tove Mogstad, l’ancienne ministre de la Santé de Norvège. Elle disait qu’un dollar consacré à la petite enfance représentait une économie de 100 dollars consacrée à l’adolescence en difficulté. »
Dans un autre registre les expériences de Spitz et Harlow sur les théories de l’attachement démontrent que nos liens sociaux sont la clef pour nous développer en bonne santé physique et mentale. La méditation, la « slow life » sont bénéfiques pour notre corps pour notre esprit et notre performance.
Tous ces principes font l’unanimité en théorie seulement. Dans les faits les inégalités et les déséquilibres demeurent bien trop importants. Nous consommons nos vies à 1000 à l’heure, avec un sentiment de frustration ou d’inachèvement parfois.
Au sein des entreprises la prise de décision stratégique souffre souvent des mêmes paradoxes. J’ai vécu la destruction de la Comareg en première loge. Les indicateurs financiers étaient au vert mais les indicateurs extrafinanciers au rouge, ce à quoi on me répondait de « ne pas m’inquiéter car cela faisait des décennies que la société fonctionnait et que ce n’était pas prêt de changer ». Une liquidation express a clôt le débat laissant des milliers de salariés sur le carreaux en quelques mois.
Alors à quel moment notre humanité a t’elle basculé dans cette folie collective de toute puissance : toujours plus vite, plus riche, plus fort, plus grand…
Comment, alors que nous jouissions de l’abondance, avons nous peu à peu été amenés à nous couper de nous-mêmes, privilégiant le superflu à l’essentiel, le temps court au temps long ? Il semblerait que notre circuit neuronal de récompense se soit raccourci. Nous nous entêtons à produire, consommer, manger, croitre toujours plus en étant conscients que nous sommes confrontés à des problèmes de première urgence, qui se révélerons vitaux très bientôt.
Renforcer la réglementation ne pourra être la solution universelle pour nous sortir de cette impasse. Les obligations sont souvent vécues comme une contrainte pas comme une opportunité.
Par exemple, le point de départ de la directive CSRD a été établi à travers une matrice de double matérialité qui a pour objectif d’examiner l’incidence de la dégradation des conditions sociétales et environnementales sur l’activité de l’entreprise, et d’autre part mesurer l’impact de l’activité de l’entreprise sur ces mêmes conditions. C’est une double relation de cause à effet interessante mais qui ne prend pas en compte les points évoqués dans le paragraphe précédent.
Cela sera t’il suffisant pour faire évoluer les mentalité en profondeur et ancrer des comportements plus vertueux et responsables ? Suffisant pour donner naissance à des écosystèmes d’entreprises régénératives et alimenter une dynamique pour Réparer l’avenir ?
Non, la réglementation est nécessaire mais ne sera jamais suffisante. De plus, catégoriser les entreprises à partir de système de notation/critères est un prisme d’interprétation parmi d’autres. Limitant qui plus est car ne prenant pas en compte l’ensemble des richesses immatérielles. Cela a toutefois le mérite de rassurer les financiers et de donner bonne conscience, jusqu’a prochain scandale Orpéa…
Energie renouvelable et sucres lents
Les actifs immatériels représentent une énergie renouvelable infinie. Contrairement aux actifs matériels, leur valeur et leur potentiel s’amenuisent uniquement si on ne les utilise pas. Ils représentent nos sucres lents pour transformer nos modèles d’affaires, nos modèles sociaux et nos modèles économiques.
Pour les activer, il est donc nécessaire de les identifier, les nommer, les cartographier puis les piloter. En prenant conscience de ses leviers singuliers, l’entreprise est alors capable de retranscrire ses immatériels dans sa stratégie afin de valoriser son histoire, son identité, sa personnalité et sa trajectoire.
Elle va également gagner un temps considérable dans la collecte de données nécessaire à l’élaboration d’un rapport de durabilité (cf : CSRD) et ainsi rentrer « dans le rang ».
Piloter ses immatériels c’est aussi avoir la capacité de fédérer les équipes pour favoriser la cohésion et anticiper les risques. C’est un système gagnant/gagnant vertueux.
Ainsi, en alignant sa stratégie avec des investissements dédiés à l’immatériel, comme la formation par exemple, les porteurs d’actifs immatériels sont valorisés. Et il est prouvé que les leviers d’engagement et de motivation passent par la reconnaissance.
Tout est question de cycle, de bon sens et de bien commun…
Afin d’ engager une véritable dynamiques de transformation de nos sociétés civiles et commerciales, nous devons donc collectivement transformer nos états d’esprit, nos usages, nos façons d’appréhender la valeur et pas uniquement nos façons de compter les impacts, financiers, environnementaux et sociaux.
Un vaste challenge nous attend. Serons-nous capables de le relever à temps ?