Les cycles du monde
Même si le dérèglement climatique n’était pas aussi présent dans notre quotidien, la question du sens que nous donnons à nos existences serait néanmoins soulevée à chaque instant.
Selon la grande horloge cosmique, nous serions à la fin d’un cycle et pas le plus éblouissant.
En effet, dans les traditions judéo-chrétienne ou hindoue, 4 grands cycles de temps sont dédiés à l’Humanité et recouvrent un temps cosmique de 64 800 années solaires.
Les mythes ou les Écritures rappellent aux hommes qu’il existait un Paradis sur Terre. Cette époque du paradis terrestre est plus connue sous le nom de l’Age d’OR, et pour les Hindous, KRITA YUGA. L’âge d’ARGENT, d’AIRAIN (ou de bronze), puis de FER lui ont succédé. Chaque Yuga semble avoir une durée cohérente avec l’intensité de son éclat :
Age d’OR – 25 920 ans : KRITA YUGA
Age d’ARGENT – 19 440 ans : TRETA YUGA
Age de BRONZE – 12 960 ans : DWAPARA YUGA
Age de FER – 6 480 ans : KALI YUGA
Ces 4 grands Temps sont rythmés par des phases transitoires de plusieurs centaines d’années que Pythagore nommait les « Murs du Temps ».
Nous voilà donc dans la phase transitoire de la fin de l’âge de fer du Kali Yuga.
Le Kali Yuga est décrit comme la période où l’« âme du monde » prend une teinte noire ; il ne reste qu’un quart de la vertu totale, qui diminue lentement jusqu’à devenir nulle. Les hommes se tournent vers la méchanceté ; la maladie, la léthargie, la colère, les calamités naturelles, l’angoisse et la peur de la pénurie dominent. La pénitence, les sacrifices et les observances religieuses tombent en désuétude.
Toutes les créatures dégénèrent. Le changement passe sur toutes les choses, sans exception.
Pas besoin de regarder le journal télévisé ou d’ouvrir un livre de René Guénon comme « La crise du monde moderne », FX Oliveau avec « La crise de l’abondance » ou Timothée Parrique dans « Ralentir ou Périr », pour prendre conscience que nous sommes sans aucun doute alignés avec la tonalité du Kali Yuga !
Schémas de représentations du monde
Peu importe le cycle, il nous appartient tout de même de clarifier dans quel monde nous voulons vivre et pour ce qui concerne notre présent, d’en définir les indicateurs.
Lors de la dernière Journée nationale des actifs immatériels en 2022 chez BPI France, j’évoquais lors d’une table ronde, le bonheur national brut ou BNB qui est un indice servant au gouvernement du Bhoutan à mesurer le bonheur et le bien-être de la population du pays. Inscrit dans la constitution promulguée le 18 juillet 2008, il se veut une définition du niveau de vie en des termes plus globaux que le produit national brut.
En France et dans l’ensemble des pays dits « développés », l’indicateur roi demeure le PIB, ce qui n’a plus aucun sens aujourd’hui, et ce pour de nombreuses raisons :
- motifs écologiques : poursuivre une croissance sans limite, comme nous le faisons, conduit au désastre environnemental. Outre le changement climatique et la perte de biodiversité qui sont les plus médiatisés, les études scientifiques relèvent une dizaine d’alertes graves (acidification des océans, contamination des eaux douces, etc.), la liste est longue…
- motifs sociétaux en lien avec la répartition des richesses : la croissance des quarante dernières années a été très inégalitaire, enrichissant surtout les plus riches ; la théorie du ruissellement ne fonctionne pas. Les ressources étant limitées, les populations des pays émergents du sud ne pourront jamais accéder au niveau de vie matérielle dont jouissent les Occidentaux. Notre modèle de croissance et de maximisation des profits par l’accumulation est donc une bombe géopolitique à retardement.
- motifs sociaux : la croissance infinie n’a pas de sens et ne contribue pas à l’accomplissement humain. De nombreuses études suggèrent que plusieurs maladies (burn-out, dépression, insomnies chroniques) révèlent le mal-être qui accompagne la hausse du niveau de vie moyen des populations occidentales, celles qui pourtant présentent un PIB reluisant.
La corrélation entre le PIB et le bien-être est donc une illusion et invite à nous questionner ce après quoi nous courrons et gesticulons.
Une étude de Matthew A. Killingsworth de 2018, réévaluée en 2021, démontre qu’au delà d’un revenu mensuel d’environ 5 800€/mois, l’argent ne contribue plus à la création de bien-être. D’autres valeurs entrent en jeu et ces valeurs ne sont ni marchandes ni monétaires.
Il serait donc temps de stabiliser les 2 piliers bas de la pyramide de Maslow à travers une économie stationnaire, juste mais prospère et de concentrer notre énergie sur les 6 niveaux suivants pour mener une existence la plus épanouissante possible.
La post-croissance
Prospérer sans croissance est un programme réjouissant si l’on change notre regard sur le monde.
Aujourd’hui, 6 des 9 limites planétaires ont déjà été franchies. Nous n’avons donc pas d’autres choix que de modifier radicalement nos façons de vivre, de consommer et de considérer le vivant sous toutes ses formes. Ce qui ne signifie pas de renoncer au progrès, bien au contraire.
Nos indicateurs et nos objectifs doivent évoluer pour correspondre de manière pragmatique à la réalité du moment. Cette phase transitoire de fin de cycle Kali Yuga nécessite que nous acceptions de transiter pour un temps défini vers la destruction puis la reconstruction d’un tout autre modèle de société, plus juste, plus vertueux, qui remette le temps long et le temps lent à l’honneur. Notre pérennité dépendra de notre capacité à réagir efficacement sans sombrer dans l’anxiété ni l’approximatif pour traiter l’ensemble des enjeux écologiques et sociaux.
Le modèle capitaliste est arrivé à bout de souffle et le fonctionnement économique, des pays du Sud en particulier, doit être réadapté. Nous n’avons pas réussi à prospérer de façon raisonnée et à gérer l’abondance de façon juste ou équitable ni à satisfaire réellement nos besoins matériels & immatériels de manière équilibrée et harmonieuse. Chacun de nous est en transit existentiel, entre deux avions, deux vies (pro/perso), deux mondes et réclame à corps et à cris « du sens », tel un enfant obèse à qui on aurait refusé une confiserie pour cause de diabète alors que son voisin de palier n’a pas mangé depuis plusieurs jours à cause de sa grande pauvreté.
Notre monde V.U.C.A est devenu un paradoxe acariâtre au sein duquel les individus sont majoritairement orientés vers l’AVOIR et ne mesurent plus leur chance d’ETRE tout simplement.
L’homme du 21ème siècle vit à la périphérie de lui-même et recherche sans relâche son bonheur à l’extérieur, à travers des chimères technologiques, récréatives ou superflues. Tout ce qui rentre fait ventre, car tout se consomme, des biens matériels en passant par la nature ou les relations humaines ; le profit individuel en ligne de mire. Même la spiritualité se monétise : karma-thérapeute spécialiste du féminin sacré, chamans en entreprises, coach de mission de vie…
Le don et la réciprocité sont deux valeurs qui semblent avoir totalement déserté la planète Terre.
Nous pourrions donc commencer par considérer que les contraintes écologiques sont une formidable opportunité pour nous réinventer individuellement et collectivement et faire mieux pour les générations futures ?
Les organisations publiques et privées vont ainsi devoir apprendre à manager la transition par la prisme de l’immatériel en se recentrant sur leur ADN, leurs forces singulières et leur authentique raison d’être. Un certain nombre d’activités ne sont plus soutenables dans cette nouvelle ère. Nous devrons définir ce à quoi nous sommes prêts à renoncer pour prospérer en dehors des référentiels économiques.
Voilà pourquoi le programme est réjouissant : nous allons devoir apprendre à revaloriser les véritables richesses et valeurs qui sont fondamentales à une existence humaine accomplie.